samedi 31 octobre 2009

Reflet d'états, pièce ou trace?

Le lieu. L'importance du lieu. Le lieu d'exposition. Et ce qu'il en advient des objets posés sur la scène du sens...
Au vernissage, un journaliste voulait aborder l'exposition, le plus simplement possible, dans son article, revenant souvent à cette question "oui, mais pour le néophyte...?"
Etant infiniment, moi-même, très à cheval sur l'importance du "spectre", je comprends ce genre de question: la nécessité d'avoir un spectre large est fondateur pour moi dans ce genre de travail, et surtout dans ce médium: l'exposition.
Faire apparaître l'esprit et le faire voyager sur les remparts de la personne. Là est le spectre...
Le fantôme, la trace résiduelle dans le présent d'une présence passée, d'une traversée. La mienne.
Le Spectre. Un Personnage. Non carné. Constructible. Comme dans un roman. Un être construit par éléments apposés. Une partie valant pour le tout. Et vice versa. Synecdoque et compagnie. La réalité elle, est variable, multiple. Elle échappe à sa réduction, l'évolution que va prendre ce texte en est la preuve, un flot de mots, et son écoulement va se perdre dans un babillement de références, montagnes formant vallée. Nous pensions être en littérature et nous voilà en peinture. Le Spectre. Palette large de tonalités. Suite continue de couleurs dans la décomposition de la lumière blanche. Et nous revoici en littérature...

Lumière blanche: "Naked!" ( Hamlet dit, de retour à Elseneur): il ne joue plus (act) mais continue de jouer (play).

Décomposition. La baudelairienne charogne. C'est dans la décomposition de la lumière blanche que se trouve la naissance du spectre, des couleurs. Naissance d'une couleur, d'un drapeau, d'un identité, construite, ou à construire. À déconstruire, sans doute également. L'homme devient vitrail, d'une lumière blanche infusée il chatoie selon ses carreaux colorés et le motif plombé.
Le vitrail cassé, l'église est aux quatre vents. La lumière est la même que dehors. Blanche. Et dans l'église, aucune chose n'est réchauffée par la couleur d'un rayon chargé. Tout n'est que jeu d'ombre et de lumière. Blanche.
Blanche. Page. Mots.

Le Spectre est nécessaire à toute installation. C'est lui qui ouvre, accroche le regard et l'emmène. Voyage. "Enrapture", les anglais disent, "Enlèvement", "Se laisser emporter"...

Le travail, ici, se place sur plusieurs niveaux: le bureau, sa chaise, les cahiers, les bottes, les crayons, la tente, le canoë... tout cela campe le personnage créé, littéraire, écrivain occasionnellement, appelons-le, mettons, Dimitri Vazemsky. Le personnage, spectre, est l'accroche, la partie la plus visible du spectre, par tous. Un morceau carné.
Là, dans la partie la plus préhensile du spectre, la concierge n'est pas morte, ça raconte encore des histoires. N'est-ce pas? La confession étrangle, la racontouse quoi.
C'est par là que l'on rentre dans l'immeuble, dans l'espèce d'espace créé. Le récit débute ici. L'installation. Un bateau. Un texte. Une présence. La présente absence de l'auteur. Et la narration de l'acte.
'The deed is done!'
Le temps de cette narration se joue du linéaire: un début, une fin, on se laisse porter par une histoire, une succession d'images arrêtées, d'écluses à passer comme scandant le flux continu, le déplacement, l'écoulement, le temps, la rivière...
Dans ce cas précis, un canal. La Scarpe. Canalisée. De main d'homme travaillée. Comme tout roman.
On ne devrait jamais parler "d'écriture fleuve" mais "d'écriture canal".
Le fleuve étant naturel.

On en revient au paysage.
A sa place. A l'espace.
Naturel. Ou pas.

J'ai cherché tout au long de cette résidence, le "Wild" comme je l'appelle... difficilement traduisible, un sentiment sans doute... de solitude au milieu d'un environnement naturel... Mais qu'est ce qu'un "environnement naturel"? L'être humain, ipso facto, fait partie de la nature, étant lui-même un élément de celle-ci (souvenez-vous des premiers épisodes), son habitat même fait partie de cet "environnement naturel"... une "nature" plus ou moins teinté de "culture", même si, à la base, un abri pour se planquer de la pluie c'est naturel. Le reste est culturel. Et sans doute superflu, si ce n'est pour dire, exposer, son appartenance à une culture... La déco, ikéa, le nain de jardin et ses suppôts, flamants roses et vierges à la cruche en plastique blanc moulés.
Ce "Wild", pour moi, ressemble à un lieu de dépossession de cette culture, voire de toute culture, pour tenter de retrouver un endroit vierge de toute construction ou organisation culturelle. Une quête de l'essence brute et d'un rapport direct à l'espace. Mais également au temps.
Le regard et l'esprit se perdent dans une contemplation du paysage qui n'est pas arrêtée par une "marque culturelle", ou un "marqueur temporel" qui va venir briser l'errance, la neutralité contemplative comme je l'appelle, quand j'en discute avec Keats. Briser l'errance et imposer un rythme.
Autour de la Scarpe, l'omnipotence de l'homme n'est plus, les lentilles d'eau ont envahi les écluses, fermées, coincées, des cheminées d'usines oubliées se perdent sous la végétation, les pontons de bois vermoulus construits ornent des abords désormais inaccessibles, les plaques (d'humaines tectoniques?) qui canalisaient la voie d'eau se sont chevauchées, cassées, le canal retrouve lentement son statut de rivière. Et en lisière du lit, parlent encore les "bras morts".
"Bras morts"; on est dans une certaine poésie, "native". Non pas dans les images éculées véhiculées; mais dans un langage qui cherche à saisir, le plus justement possible, un fond non encore attrapé. Une lumière blanche non encore filtrée. Une image juste, simple et simplement juste.

Le Niveau Zéro de l'Ecriture ( projet d'écriture sur paysage entamé avec les lettres rouges) s'approche de ce geste. Imaginé à la lisère des vagues, il cherche à placer une phrase entre la terre ferme (terra cognita des savoirs acquis, terre connue, ferme et stable) et la houle mouvante, informée, de quoi on ne le sait mais le pressent, au milieu de cette bergère d'azur infini... aux reflets changeant, dansant, le long des golfes clairs, voyez près des étangs ses grands roseaux mouillés, ses oiseaux blancs et ces maisons rouillées...


Passage obligé. Regardez l'enregistrement, au milieu de la chansonnette, n'est-ce pas, Trenet fait une remarque sur "la mer", (les guillemets prouvent bien que nous parlons d'une chanson et non pas du réel). Il dit: "Un succès "américain"". La France en ce temps était "swing". Et cette question de formes liées à des territorialités, est intéressante. Toujours est-il qu'il n'est, à mon avis, plus possible de chanter "La mer" comme cela. De l'écrire comme cela. De nos jours. Et pourtant c'est comme ça que "la mer" fut construite dans biens des esprits...
Nous construisons le réel grâce aux images reçues, vues ou via le langage, la peinture, la vidéo, les cartes postales... ce sont des informations, avec lesquelles nous construisons une vision du monde, et puis, bien sûr, ma brave dame, y'a la réalité, mais la réalité est loin, très loin, avec son essence, celle qui touche le corps, mais sans vraiment de forme, vague, ailleurs que ces informations posées, parvenues au cerveau, assemblant les choses avec une étonnante facilité et une certaine beauté... et des fois, des fois, les deux coïncident, se rencontrent, comme du temps où je vivais, ( non pas dans le troisième dessous, ivrogne, immonde, infame...) mais dans un cottage aux portes du connemara, il m'arrivait, au sommet des montagnes, de voir s'étaler sous mes pieds ces terres brûlées au vent, des landes de pierres, autour du lac...

Derrière les mots, grisés, se cache un lien. Un emballage. Un arrangement. Des arrangements autour des paroles, des publicités, des couleurs, d'autres rengaines, tout ça est une voix, un ton, une façon de penser, une façon de se présenter... une époque aussi...
Par contre pour changer de sujet et parler de la forme, ses mots liés, à la dérobée, en grisé, donnent un mécanisme propre à l'écriture en réseau: avant, la référence était soit commune avec le lecteur, soit ne l'était pas... "comprend qui peut" comme dirait bobby lapointe. Désormais, ici, l'écriture des liens peut être tissée, le texte dérape vers un ailleurs, accessible, ouvrable, découvrable par le lecteur: l'explicitation du caché, du lien, là, juste derrière le texte grisé... un clic et vous y êtes: et la référence apparaît.

La référence plus une ou deux pubs en sus, une pour le club de rencontre dans le coin à droite, mettant à mal la solitude du lecteur, et puis on vous fait patienter, le temps du chargement, avec un jingle vantant les mérites d'une marque trop cool...

L'idéal est de reprendre à soi, importer le lien, ici, en un petit écran direct, et bidouiller le langage codé pour l'épurer de toutes scories que l'on vous file avec l'extrait importé, scorie en lui-même mais, vu d'ici, il reste ça:





J'ai du lutter, longtemps, je lutte encore pour ne pas avoir Sardou en tête, à la simple évocation du Connemara. Il fonctionne en moi comme un intrus, émergeant, que l'on voudrait aisément voir mort, poignardé dans sa baignoire...
"au connemara on sait tout le prix du silence!"
Impossible de prononcer "terre brûlée, au vent, des landes de pierres..." sans avoir la musique et la bobine à Sardou, fils de Jackie.


Je continue, dans la série "comment on se construit", j'ai grandi avec ça, entre autre... une partie pour le tout. Mais celle-là me touche. On connaît peu l'homme derrière les paillettes. Le personnage est complexe, tragique, coincé dans une représentation de soi qui sans doute est loin, tiraillé entre plusieurs cultures... sa mère jouait dans l'orchestre de Pablo Casals, son père était cinéaste, là on le voit chanter une reprise de Bob Marley, paroles retravaillées, adaptées, mais devant se confronter à l'antithèse de l'endroit même où il les expose: "Mon île est triste c'est une plateforme d'acier... " L'homme est en costume, noeud papillon, au bord d'une piscine... "la mer d'iroise?"
Comme chez Sardou, où le "prix du silence" jure devant le tumulte, le bruit et la fureur de cet orchestre clinquant, froid, avec son solo de clavier électrique tentant d'imiter un violon modulant ou un tin-whistle, on est dans une rupture complète du lien entre la parole et le texte... voyez par vous-même: un ouvrier sur un derrick pétrolier, chanté par un costard tiré à 4 épingles devant une piscine grand luxe, carte postale...
(je peine à conserver des liens vidéos durables sur ce post... la machine elle-même, blogger/google, me l'empèche,un lien vers la vidéo, sur youtube.be (belge) ne peut être intégré, rendant sa diffusion limitée, cet article perdant l'accés des liens vidéos selon le pays de connexion où vous êtes...)

Les livres présents dans le lieu d'exposition posent la même question, de la réalité augmentée, (le livre étant le premier objet de réalité augmentée, une vieillerie contrairement à ce que l'on tente de nous faire croire). "En canoé sur les rivières du nord" de Stevenson parle de ça, d'un rapport à la nature que l'on veut brut, vierge, mais d'un rapport et d'une appréhension qui se fait avec les outils laissés... Trenet, Sardou, Joe Dassin... et derrière ces trois là, le Spectre (007) de l'Amérique... "La mer", un tube dit "américain"... Joe dassin... "L'amérique, l'amérique, je veux l'avoir et je l'aurais..." et Sardou... avec, encore une fois, une archive ci-dessous: un monument de la Culture Française Môsieur, et qui ne pouvait exister qu'ici, et qui en est le plus "pur" produit... en lien avec notre sujet, avec, en plus, une belle leçon de chorégraphie kinétique, observez les gestes, sont-ils naturels?


Moi, dans mon canoë, j'avais en tête, souvent, le générique de Tom Sawyer... "C'est l'amérique, le symbole de la liberté..."
Je vous le remets, ici, sur la table...

Ah! si les Ricains n'étaient pas là, les Japonais n'en auraient pas fait des dessins animés...

Et puis il y a ça...


Là, il y a tout: des vrais américains, un "native" ("He who talks loud and say nothing" mais que l'on appelle "Personne"). D'autres, porteurs d'autres cultures, comme William Blake/Johnny Depp, portant involontairement le nom d'un poète, anglais, homonyme mais inconnu, contrairement à l'indien qui lui connait par coeur toute la poésie de William Blake. Le troisième homme est un vendeur, religieux... Puis il y a le canoé. "We need a canoe". Le vaisseau, cette forme qui permet de flotter à la surface. Même mort. Presque mort. La valeur d'un personnage, de son image. En train de mourrir, lui qui n'a jamais "vécu", comme la Dame de Shallot dérivant, morte ou pas? Mais dont la barque st gravée à son nom. Nom qui permet la diffusion, la reconnaissance, portrait robot, l'image permet de véhiculer des familiarités. Reconnaitre. Passer de nature à culture. Mort ou vif. Récompense de la reconnaissance. Sur le chemin. Nature, Culture. L'indien (nature) cite du William Blake (culture) en réponse à l'évangile cité par le marchand qui a installé sa tente dans le Wild West pour y vendre ses produits. Et puis il y a la force de la plume, de l'écriture, plantée vive, qui fige la main. La bouche de feu, qui parle lorsqu'il n'y a plus rien à dire, que d'occire...

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