lundi 16 novembre 2009
Settlement ("installation" en anglais)
Aborder le lieu comme dernier endroit, comme l'installation finale de ce périple, de cette errance. Comment l'occuper, comment parler de ce temps passé sur le territoire? Comment dire ce qui, matérialisé, emplirait l'espace de la pièce? Comment dire justement la réalité rencontrée? Sans l'aplatir à deux trois images? Comment parler de la démarche? De la recherche, du périple, de ce que, moi, croisant ces chemins, j'ai vu? Comment poser ma vision? Ces images que je garde, toutes celles que déjà j'ai oubliées, perdues dans un vide intérieur, comme un courant d'air qui tourne autour de l'édifice, un nuage d'images non retenues qui pourtant forme le territoire... Comment le réduire à deux trois images qui resteront comme l'image du territoire, vision réduite du tout?
Je n'ai pu réussir à cela. Un diaporama tente cette approche, en posant, bout à bout, les images retenues par l'appareil, il est visible dans ce blog, posté en mars 2008. C'est l'approche simple de partage, proche d'une consommation habituelle d'image, de la narration cinématographique. J'ai préféré à cela l'oeuvre manquante.
Cette exposition est un pis-aller, retour sur un temps passé, dans un lieu, dont la conclusion fut actée en juillet:
"La traversée du territoire en canoë: entrée par sa frontière au sud-ouest, vers les marais de Vred, avancée lente sur un vielle rivière canalisée, abandonnée, La Scarpe, jusqu'à sa confluence aux confins du pays, là où elle se jette dans le monstre, l'Escaut qui l'engloutit pour passer la frontière, au grand nord-est du territoire. A Mortagne du Nord. Ville frontière.
Là est l'oeuvre, la vraie, cette performance, cette traversée vue par les chalands présents aux abords de la scarpe, témoins du passage, de ce bateau, en bois, portant voile, anachronique, dérivant doucement sur le flot presque arrêté de lentilles vertes. Là est l'oeuvre. La vraie. Une performance sans trace. Le reste aurait du être silence.
Mais il est là. Posé. Dernier éclat avant disparition.
Totale. Dans l'horizon du paysage."
L'installation a débuté par là.
Une paire de bottes, posées, un réchaud, la boite d'allumettes "golondria" et la tente. Les éléments étaient réunis dans ces objets: l'eau, le feu, l'air fendu par l'hirondelle du printemps sur l'azur éthéré immaculé et la terre, qui porte la tente.
L'attente aussi.
Une idée, planante, de survie: les bottes protégeant de l'eau, le feu éloignant les animaux sauvages, le toit, la pluie...
Et l'attente d'un territoire à découvrir: la carte portée à l'intérieur de la tente, une oeuvre graphique sur papier, une image portant les informations d'un paysage à sillonner. Bleu pour l'eau. Vert, la forêt. Orange, la frontière, celle que reprend le cordon traînant du gilet accroché dans la tente... gilet peu réglementaire, daté, censé me protéger d'une immersion trop brutale dans un des éléments du territoire: l'eau.
Immersion. Accroche.
Une épingle pose un plan vierge.
"A writing sheet". Murale. Venant du Chalet Alpin. Cette carte recueillera les derniers moments, les derniers instants liés à l'installation, dans ce lieu, et reliant l'obtus à l'obvie, le caché au vu. A d'infimes détails, difficilement trouvables.
Cette épingle est liée à une chose vue, un souvenir durant les Turbulentes de cette année, dans un jardin, près de l'eau aussi. Une corde à linge, tendue, traversait le jardin selon une oblique non maîtrisée, sauvage. Quelqu'un d'un peu rigide, aurait planté un poteau pour avoir dans son jardin cette corde à linge parfaitement dans l'alignement d'un petit chemin.
Là, non.
La corde partait d'un arbre qui était là, avant, jusqu'à un autre arbre lui aussi antérieur à l'installation du colon et de son cordon. La personne s'était adaptée à l'environnement. Et non l'inverse.
Ensuite j'ai posé au mur, un tableau, symptomatique pour moi de cette résidence sur le territoire et de la schizé produite.
Ce tableau a été réalisé ici, à wazemmes, hors territoire, dans l'atelier. Mais la ligne jaune provient d'un paysage vu sur la petite route qui mène à Douchy les Mines, quand on veut éviter de faire le tour par l'autoroute et Valenciennes. Ce paysage, non photographié (j'avais noté d'y retourner pour le faire, comme pour le fil à linge cité ci-dessus), est un champ de colza, aux abords de la route, et ce jour-là porteur d'une lumière qui me marqua. Il fait pour moi partie du tableau. Il était, en tout cas, dans mon esprit quand cette ligne, plusieurs fois je l'ai tracée, ici dans l'atelier. Une citation.
La ligne jaune=champ de colza sur la route de Douchy=champ de colza landa pour le spectateur.
Un générique. Pas remboursé par l'auteur du tableau.
Ensuite vient le lieu. Le lieu même d'installation. Qui porte ses propres idées... le carrelage et son quadrillage sont sans doute à l'origine de cette action d'appropriation de l'espace.
L'espace ainsi fut quadrillé. Il l'était déjà. Mais sans ordonnées ni abscisses. Que j'utilise comme références pour noter les endroits liés entre eux. Le B-8 est lié au M-6. AU B-8, la boite d'allumettes "Golondria", via l'espagnol, ou simplement l'image portée par la boite d'allumettes, au nom du canoé "L'hirondelle" situé en M-6.
Au final, un vieux Jules Verne est placé sur une table en résine blanche,(coque de bateau), à l'entrée, il parle d'un pays, d'une ville qui n'existe pas sur les cartes, sur les bords de l'escaut... Ce livre, "Le Docteur Ox" est placé exactement là ou il doit être. "O" en ordonnée, abscisse "10", en chiffre romain: "OX"
L'écriture fut. Lente. Elevée.
Le charbon choisi, est fait de charbon de saule. Saule pleureur. J'écris les mots avec un reste de saule. Au dessus du canoë. Les mots pleurent de sens vers l'embarcation. Des lettres noires, au charbon, tracées au fusain de saule, dont une partie tombe en poussières au sol... en tête, une chanson, Helen Merrill, une voix proche d'un simple souffle, chantant "willow weep for me"...
La phrase, lettre par lettre, s'écrit. S'il en manque une. Une lettre. Elle est bancale.
Chaque lettre a son rôle à jouer. Le tout parle.
Cette phrase-là est pour moi, complète, close. Une unité. Avec le bateau.
Les deux parlent d'une chose passée, sans la noyer des détails. D'une chose passée qui n'a pas fait de bruit. D'une eau coulée, sous un pont. De mon passage.
Et de l'absence de trace. Dans ce sillon ouvert puis refermé. Une vie.
Et en sortant ce soir-là, une dernière photo m'arrête, prise comme pour constater que, à oeil averti, le réel s'ouvre d'une poésie. La photo est épinglée et je note le sillon bleu du néon et la queue du cheval enseigne comme imbriqués dans la phrase écrite.
Dans ce genre d'instant une épiphanie s'ouvre, l'impression d'être dans le sens du monde, de mon monde sans doute.
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