mardi 7 juillet 2009

Point (mobile)




La pluie tapote, grosses gouttes timides, sur les tuiles du toit, grenier de la maison, ici à wazemmes. Neil Young improvise, sur un cd acheté, seconde main, il improvise sur les images de Dead Man... images évoquées dans ma tête, ici, grenier... j'envisage de l'embarquer, et l'écouter durant la descente, en canoë, voir ma réalité augmentée. D'images de films. De mots lus. William Blake & cie...

Hier j'ai mis une première couche de vernis, "Le Tonkinois", sur le canoë. Poncer, grain 280, léger. Nettoyer. Les fentes entres les lamelles disjointes par le temps absordent le liquide épais. La chaleur, en le séchant, comblera le vide. Pores génants. Agit-on comme ça, pour avancer? Glisser sur la surface des choses. Se couper.

"When I speak, I offend
Then I'm silent and passive and lose every friend"
Johnny Depp parle dans ma tête, de sa bouche sortent les mots de Blake, Wiliam Blake.

Une barque glisse sur la surface lisse de mon esprit. Elle est multiple. Sépia, elle porte William Blake ( l'homonyme du poéte anglais joué par Johnny Depp dans Dead Man). Colorée, à l'huile, elle porte The Lady of Shallot (poème de Lord Alfred Tennyson, repris sur des tableaux préraphaélites du XIX... poème que je vais embarquer, sur papier, pour l'apprendre, par coeur durant la descente, et brûler le papier une fois appris... mais je n'ai que peu de mémoire pour les longues tirades... "on each side the river lie, long fields of barley and of rye, that meet the sky and clothe the wold..." "I'm half sick of shadows" saith the Lady of Shallot... voilà les bribes que je porte en moi, celles accessibles et ordonnées, en mots posés, évocables...) La troisième barque est colorée elle aussi, mais potographique, porte des lettres, rouges, dans les douves du chateau d'Escquelbecq, cherchant à poser dans la vase ( mélange batard d'eau et de terre en suspension, ni solide comme la terre ferme, ni vraiment liquide comme l'eau... où je cherchais à ancrer mes lettres (comme dans ce texte de Thoreau qu'il faudrait que je retrouve... sur l'écriture du paysage...). La vase, seule, n'est pas porteuse, impossible ce jour-là de planter mes lettres comme dans la terre. Rest in peace. J'ai du refaire un ponton sous marin de palettes (peintre paysager), et le mot posé, mon pied rencontra un tesson oublié, dans la vase. Suttures. Avec le paysage. "Troncs sur l'horizon, couture du paysage" (Instantanés d'encre, 2002).

La pagaie vient d'un magasin d'accastillage reperé sur les bas-côté d'une route vers Pornic. J'ai noté l'origine des pagaies par une photo. Un arbre mort, sur la pointe Saint Gildas. Un soir. Mort mais parlant encore du vent, le courbant. Et moi à côté, passant. L'arbre ne s'en souvient plus, m'a-t-il remarqué? L'appareil m'a attrapé. Avec retardateur. 12 secondes. Programmé. Mais hésitant sur la mise au point. Mobile. Est-ce le sujet tenant pagaie qui est le sujet, ou l'arbre, à moins que ce ne soit le brin d'herbe au premier plan qui importe? Et qui importe quoi?
En moi.
Moi regardant... ça m'importe quoi?

La Pagaie est remontée avec moi, sur la rivière de goudron charriant les embarcations aux effluves de matières fossiles, végétaux jadis, vivants, il y a longtemps. On brûle le temps passé, les millions d'années coincée dans un baril, au coeur d'un bout de charbon...

La pagaie va pénétrer, entrer le liquide courant de la Scarpe, et s'appuyer sur les flots où personne ne marche sans sombrer. S'appuyer sur du mouvant. Sur l'autre coté, l'en dessous. Pour pousser le vaisseau, là-haut, à la surface de flots, celle que le vent ride en soufflant.





A mesure que le voyage avance, je me coupe des mots écrits. Il est des déplacements que l'on fait dans le langage. Porté par les mots. Les premiers vrais premiers pas dans le monde (mon corps se mouvant par la force des mots qu'il a produit) remontent à peut-être une vingtaine d'années. Une agrafeuse, une photocopieuse, un papier violet d'un roulet de pièces pour banquier en couverture: "Phrases Baumes Balles Boulets". Une dizaine d'aphorismes sur le silence... Une rencontre avec Boris Novak, poéte slovène qui, dans son coin, faisait de même. Un contact avec Ales Steger, "envoie lui ce que tu fais, on ne sait jamais..." Une invitation reçue, pour un festival de poésie européenne à la frontière slovène, dans les vignobles de Médana. Nourri, logé, blanchi au rouge pour avoir écrit une dizaine d'aphorismes. Le pouvoir de l'écrit. J'étais parti de Lille, avec sur mon panneau en carton, une dizaine de noms, de villes, mon trajet jusque Ljublana. Ce sont mes mots qui m'avaient invité là-bas, ce sont dautres mots au marqueur sur un carton qui m'ont amené là-bas. Quelqu'un se reconnaissait dans ce mot inscrit, cette ville où il allait, et s'arrêtait, m'emportait jusqu'à cette ville...

Je me souviens d'un aphorisme de Boris Novak:

"Le poéte est le jardinier du silence"

Et ma réponse...

Comment dans ce jardin du silence
ne pas agir autrement
qu'en laboureur
bruyant

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